lundi 14 décembre 2015

14 au 23 novembre 2015 - Sale temps, les mouches pètent!

Arrivés à la gare routière de Chengdu, il nous faut peu de temps pour embarquer dans le bus à destination d'Emei Shan. Le chauffeur voudrait nous soutirer 100 yuans pour les vélos et sacoches dans la soute. Imperturbables, nous lui en filons 50, sans discuter. Il accepte, comprenant que nous avons une bonne idée du prix réel.

En arrivant à Emei Shan, le ciel s'assombrit et une averse se déverse sur nos pauvres âmes démotivées. Nous optons pour passer cette nuit au sec à l'hôtel. La météo annonce une dizaine de jours pluvieux dans cette région du Sichuan. Comment va-t-on survivre à une telle information? Vu le temps, on fait l'impasse sur l'ascension du Mont sacré Emei. Au lendemain, nous quittons à contrecoeur notre confort pour nous élancer sur les pentes ascendantes de notre parcours. Evidemment, la pluie se remet à tomber plus tôt que prévu. Chemin faisant, nous découvrons le nettoyage et le conditionnement des racines de gingembre, le séchage de kilomètres de nouilles fabriquées dans des petites usines de campagne.


On nous donne à porter le bébé, ça doit leur porter bon présage...

Lavage et conditionnement du gingembre.


Joueurs de cartes croisés en route

Fumeur de cigare au faciès Yi
Le soir venu, subissant la pire des conditions que connaisse le cycliste, à savoir aussi trempés de l'intérieur par la transpiration que de l'extérieur par la pluie incessante, nous préférons passer (encore) une nuit au chaud dans un hôtel à Longshizen. Le gérant nous vante son établissement en nous assurant qu'il reçoit fréquemment des étrangers. Sacré argument de vente. Nous parvenons à lui faire descendre le prix de la chambre de 10 yuans, on a fait mieux.

Une douche bouillante, la fameuse couverture chauffante, ingrédient indispensable à toute bonne chambre chinoise et un bon souper au réchaud nous fait vite oublier les peines de la journée. Nous nous installons devant un bon film (merci Eric pour les téléchargements), quand soudain quelqu'un frappe à la porte. Surpris, Jonas va répondre à cette perturbation de notre quiétude. Un policier se tient à côté du gérant et sa femme, il réclame nos passeports. Etonné, on demande s'il y a un problème. Le policier ne comprend rien à cette question, prend des photos de nos deux passeports avec son téléphone portable. Il finit par nous souhaiter bonne nuit. No problem, no problem... Quelque peu troublés, on se remet au lit devant notre film, se demandant si c'est le tenancier qui a averti la police de notre présence. On apprendra par la suite que la police peut nous demander notre passeport à tout moment et dans n'importe quelle circonstance. Big chinese brother is watching you.



Cuisine traditionnelle du campeur averti

La route pour Ebian quitte la rivière et s'élève en déroulant de longs lacets avant de redescendre. La ville n'est pas accueillante pour un sou, juste assez pour dîner rapidement... Peu après, nous empruntons la petite route de campagne X149 qui serpente dans une belle vallée étroite. Ici aussi, attention aux chutes de pierre! Sans le savoir, nous entrons dans une région du Sichuan où vivent les Yi, l'une des nombreuses minorités ethniques de Chine. Nous croisons de belles femmes en habit traditionnel, portant fièrement une coiffe élaborée. Les façades des maisons Yi arborent de jolies têtes de bovidé en bois peint. Ils semblent de culture animiste. Leur alphabet (https://fr.wikipedia.org/wiki/Syllabaire_yi), sorte d'écriture runique très simplifiée, figure sur les panneaux à côté des idéogrammes chinois. Dans chaque village trône une table de billard où jouent les hommes, fumant toujours comme des pompiers. Nous croisons beaucoup d'hommes et de femmes portant leur bébé dans le dos, il y a plein d'enfants partout, les minorités ethniques n'étant pas soumises à la politique de l'enfant unique.


Large rivière aux villages escarpés

Ebian: grisaille, industries, routes larges, tours d'habitation en construction

De la pub et beaucoup de bruit
Camping sauvage bien gardé au bord de la rivière, sur une route sans issue
Longue montée au le fil de l'eau

Une nature verdoyante ou l'eau réside en abondance
La sophistiquée coiffe traditionnelle Yi

A chaque entrée dans une région à la population ethnique minoritaire, on trouve de beaux portails tel que celui-ci

Un pic-nic au soleil. Enfin un peu de chaleur...

Fresques murales, mémoire des traditions

Chaque soir avant un bivouac on remplit nos cruches d'eau

Chez les Sioux?
Totem et fresques murales

Sur la montée du col avant Meigu, débarquant tout crevés et suants dans un petit village de montagne , un monsieur nous tend spontanément sa bière. Nous demandons à pouvoir mettre notre tente sous le couvert abritant la table de billard, le temps étant toujours aussi humide. Une bonne quinzaine d'habitants se relaient pour observer avec curiosité et amusement notre rituel: montage de la tente, gonflage des matelas, préparation du repas au réchaud... Nous finissons de manger à la nuit tombante, les derniers curieux rejoignent leur foyer pour le repas du soir. Plus tard, notre voisin nous apporte un thermos d'eau bouillante, puis ce sont quelques femmes du village qui reviennent et prennent l'initiative de nous faire un feu de bambou pour nous réchauffer. Assises sur un vieux siège de camionnette défoncé, elles nous tiennent compagnie devant le feu, rient de bon coeur, leurs enfants jouent autour de notre tente. Nous ne nous comprenons pas mais ressentons l'énergie bienveillante de ces personnes.
"On est heureux d'être là, si loin des grands axes touristiques. Nous rendons visite à ces populations reculées qui nous offrent leur douceur et joie de vivre. La difficulté de la journée et la douleur physique sont soulagées par cette gentillesse rencontrée en chemin. Aujourd'hui sur le chemin on nous a donné une bière, deux poireaux, des pommes de terres, des mandarines, des hello-hello, des sourires et beaucoup d'intérêt. Merci pour tous ces cadeaux."


extrait du Journal de Bord de Jonas

Feu de bambou

A notre départ le lendemain, un brouillard épais à couper au couteau nous enveloppe.
Le village de montagne où nous avons passé la nuit
La montée du col devient ardue, la route n'est plus asphaltée, elle est boueuse et caillouteuse, il fait froid et humide. Emma pousse son vélo, Jonas crève un pneu, il pousse son vélo... Il nous faudra toute la journée pour parvenir au col, 2900m, d'où nous émergeons enfin de la mer de brouillard! On reste là quelques instants à savourer notre exploit, 1100m de dénivelé en un jour, mais le froid nous pousse à redescendre quelques lacets de l'autre côté du col, afin de trouver un endroit plat pour bivouaquer. Le lieu est craignos, jonché de déchets, alors même que nous nous trouvons dans une réserve naturelle (Dafengding Nature Reserve).

Sightseeing in Sichuan...

LA preuve que Jonas pousse aussi son vélo!

Enfin au-dessus de la mer de brouillard!



"Bienvenue chez les Yi"

Après une longue montée, une descente endiablée pour vtt
De ce côté-ci du col, la pauvreté des habitants nous frappe de plein fouet. Les enfants sont crasseux et vêtus de nippes trouées, les maisons de bois, de pierre, de vieilles briques et de torchis sont délabrées... Les rues des villages sont jonchées de détritus de toute sorte, bouteilles en PET, emballages alimentaires, paquets de cigarettes, canettes... Cela ne semble pas incommoder les habitants. Triste spectacle.


"C'est incroyable, nous, occidentaux, vivons dans un autre temps, une autre dimension. En cent kilomètres, nous avons traversé tant de paysages culturels. Témoins d'une pauvreté crade, en voyeurs malgré nous, nous fermons nos yeux sur une Chine pauvre et miséreuse. Des bâtisses de briques et de pierres, de terre et de paille, loin des grattes-ciel de verre des villes peuplées. Ici les façades sont crépies de boue rougeâtre, les visages des enfants mal lavés. Je me revois dans la découverte des villages africains."

extrait du Journal de Bord de Jonas



Nous sommes bien loin des grattes-ciel de verre et du bling-bling citadins...
Une trentaine de km avant Meigu, la route se transforme en un immense chantier. Il nous faudra beaucoup d'énergie pour atteindre la ville, parmi le trafic perturbé qui nous couvre de poussière, slalomant entre les engins de chantier, les flaques de boue et les trous béants.


"Hey ho, hey ho, on rentre du boulot!"

Costume coloré des femmes Yi


Champs arides et cultivés
Poutraison décorée


Mur blanc toit de bardeau...


Une route en construction, ça crée beaucoup de poussière...
La pelle et la bête

Rencontre spontanée. Un groupe de jeunes Yi qui dansent dans une cour d'école vient nous dire bonjour
Jonas peine à suivre les pas de la danse traditionnelle Yi
Fillette en vêtements traditionnels


 La ville de Meigu, grouillante de monde et congestionnée par le trafic, avec ses conducteurs klaxonnant comme des malades, ne nous paraît pas vraiment appropriée à un repos bien mérité... Un policier nous escorte jusqu'à un hôtel luxueux à plus de 160 yuans la nuit. Il nous explique que c'est la veille du Nouvel An Yi, et que nous devrions loger ici pour des raisons de sécurité, les locaux ayant tendance à boire pour fêter ça. On tente longuement de négocier le prix, sans succès et on fait mine de s'en aller, mais le policier nous fait comprendre qu'on n'a pas vraiment le choix. Il se dit même prêt à compléter financièrement de sa poche (ce qu'on refuse, quand même...). Bon, ok, va pour la chambre de luxe. Le flic checke nos passeports, on commence à avoir l'habitude. Sa copine, une jeune fille Yi parlant un bon anglais, se pointe à la réception, tombée d'on ne sait où, et nous invite chez ses parents pour manger le repas du soir. Nous mourrons de faim, ça tombe bien!

Le flic nous mène chez ses "beaux-parents" dans sa voiture de police, nous arrivons dans une cour intérieure où roupillent de gros porcs au poil noir. Nous montons quelques escaliers dans un vieil immeuble et pénétrons dans un petit appartement très simple. Dans un coin de la pièce sèchent des boudins frais, le sang coule sur un carton déposé au sol. La jeune fille nous explique qu'à l'occasion du Nouvel An Yi, chaque famille tue un porc bien gras. Nous commençons à saisir la raison de l'omniprésence de tous ces cochons partout, dans les camionnettes sur la route, dans les rues et les arrières-cour. On nous sert quantité de bols de jus de mais fermenté, un plat de gros morceaux de couenne (heureusement on échappe au boudin!), du riz et de la soupe. Pendant le repas, le policier demande à voir nos cartes d'identité, pour vérifier que nous sommes bien les détenteurs de nos passeports (!)... Le plus grinçant reste à venir, quand, nous ramenant à l'hôtel, il demande à monter dans la chambre pour fouiller nos sacoches! Jonas le remballe poliment mais fermement, il n'insiste pas. Un peu trop zélé à notre goût, le gars. Drôle de soirée...


Au menu: du porc!
 
Dernière sieste avant le repos éternel
Une belle chambre à 168 yuans (26.- CHF)

Débute au petit matin ce qui s'apparente à un vrai génocide de cochons. Nous entendons des hurlements à n'en plus finir, ça nous tourne le bide. Ici, pas d'abattoir pour tuer le bétail. Des couteaux et des poignards bien aiguisés pour crever en plein coeur ces pauvres bêtes. Ça nous dégoute, l'odeur de mort nous monte au nez, envie de vomir! Et dire qu'hier on s'est fait péter la panse à manger du porc... Ce matin, en quittant l'hôtel, on assiste à la lente et bruyante agonie d'un gros cochon noir. Une fois mort, il est gonflé à l'aide d'une pompe à vélo (!) qu'on lui plante dans le derrière. La bête est ensuite installée sur un lit incurvé et vidée de son sang qui est récupéré dans une grande marmite brûlant à feu vif. Elle est ensuite fumée sur un lit de feuillage puis rasée énergiquement à la lame. Les pattes sont coupées à la hache, la carcasse tranchée de part en part, les organes et boyaux lavés minutieusement au robinet par les femmes. Ce spectacle écoeurant se répète pendant trois jours, dans tous les villages qu'on traverse. La rue n'est pas vraiment l'endroit rêvé pour une telle activité, et pourtant tout ceci se passe sous les yeux des passants qui font leur marché, et le sang coule sur la route en suivant l'inclinaison de la pente... Bref, vive la St-Martin chez les Yi! C'est la première fois qu'on ressent aussi fort le choc culturel. On ne se représente plus très bien ce que signifie la mise à mort d'un animal dans notre monde occidental, lorsqu'on achète notre morceau de viande chez le boucher. Au moins on peut alléger sa conscience en se disant que l'abattage chez nous est plus rapide et moins douloureux...


Rasage au scalpel
"Allez moi je tire l'oreille, toi tu tranches la patte!"

Nous avons appris par d'autres cyclotouristes nous précédant, que la route qui mène à Xichang est en construction tout du long, soit sur encore 140km! On prend le parti de pédaler 40km jusqu'à une jonction, puis de prendre un taxi, un bus, n'importe quel mode de transport qui nous permettra de franchir au plus vite ce gigantesque merdier!

A Zhaojue, au matin, le conducteur d'un camion dont le pont est vide nous propose tout simplement de nous embarquer pour les 100km qui restent jusqu'à Xichang, cela sans contrepartie financière! Quelle aubaine! Partis à 11h, nous n'arrivons à destination qu'à la nuit tombante, tant l'état de la route est cauchemardesque... Notre bienfaiteur est d'une grande générosité. Il s'empresse de payer notre repas de midi alors que nous souhaitons l'inviter pour le remercier, tente vaillamment de nous inculquer quelques notions de chinois, cherche avec nous un hôtel à Xichang. Encore une belle personne que le voyage a placée sur notre chemin!


Calme et concentré devant un spectacle peu carrossable
 
Une belle route toute neuve sur 100 km, dans tes rêves!


D'abord on fait passer le courant, puis les camions...
Nous passons deux nuits à Xichang, sans la moindre idée de l'itinéraire à prendre pour la suite. L'idée d'aller à Kunming pour renouveler nos visas commence à nous rebuter, nous pensons à ces horribles entrées à vélo dans les grandes villes chinoises, aux zones industrielles, aux routes en construction qui pourraient encore se trouver sur le chemin... Où aller? Prise de tête. A la dernière minute, nous optons pour un itinéraire pas très logique, mais qui nous inspire plus: partir plein ouest sur Lijiang, pour y renouveler nos visas. Nous voilà repartis pour un tour, la fleur au guidon!


Un repas à Xichang: riz, légumes en sauce, courge, graines de tournesol, radis ET les fameux röstis sichouannais
 

3 commentaires:

  1. La Fleur au guidon.
    Voilà une belle expression qui renvoie cependant à la Fleur au fusil, comme si ce voyage était aussi une sorte de guerre, de combat contre les éléments, contre l'acculturation, contre les méchants policiers, contre les routes détestables, et enfin contre vous-mêmes puisque c'est votre choix d'être là et "LA c'est la preuve que Jonas pousse aussi son vélo", comme si les moments les plus difficiles, les plus douloureux devaient aussi être intimement partagés tout autant et peut-être plus que les moments de joie et de victoire, au Col au dessus du brouillard et à la pause picnic en bras de chemise (enfin un peu de douceur partagée).
    "Les mouches pètent" et on pourrait ajouter... les cochons dégueulent leur sang sur la route!!!
    J'ai adoré les photos de la femme Yi et de la petite fille. Celle du fumeur d'opium aussi en NB et toutes celles où l'on peut se rassurer que vous êtes en bonne santé, heureux de vivre ce calvaire à deux, et reconnaissants fassent à tous ceux qui vous veulent du bien (et ils semblent, selon votre récit, beaucoup plus nombreux que les autres).
    Continuez à suivre votre instinct (votre petite voix(e) intérieure) et à arpenter les chemins et les routes qui vous rapprochent de vous mêmes et du pourquoi vous avez fait tout ce chemin... et surtout continuez à vous confier/écouter l'un l'autre, toujours et encore...
    A tout bientôt et déjà
    JOYEUX NOËL

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  2. Hello, que de routes et belle expérience de vie, les bouchoyades des cochons certains souvenir de mon enfance remonte mais quand même moins barbare.
    J'ai pu constater que les Mystic Lite de Scapa tiennent le coup après tout ces kilomètres parcouru.
    Je vous remercie pour votre magnifique carte reçue à l'instant et vous souhaite un Joyeux Noël.

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    1. Merci Jean-Marc!
      Oui les chaussures sont extra confortables, et d'ailleurs Emma en est jalouse!
      On trouvait que cette carte postale aurait fière allure sur ton bureau-caisse au magasin...
      Merveilleuse période festive et bon succès dans les affaires!

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